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Cette sec­tion est conçue pour enri­chir et appro­fon­dir les sujets abor­dés dans nos articles prin­ci­paux. Elle pro­pose des com­plé­ments d'information pré­cieux ain­si que des réflexions ins­pi­rantes qui vous per­met­tront de mieux com­prendre et d'explorer les thèmes qui nous pas­sionnent. Bonne lecture…

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Se reconstruire après un attentat 

Lançon et Rushdie, deux che­mins de résilience

Les récits de Philippe Lançon (Le Lambeau) et de Salman Rushdie (Joseph Anton, Le Couteau) pro­posent une réflexion pro­fonde sur la manière dont deux écri­vains vic­times d'attentats ont tra­ver­sé et sur­mon­té leurs épreuves. L’écriture y appa­raît comme un moyen de sur­vie et de rési­lience face à un trau­ma­tisme extrême.

Bien que leurs par­cours et les contextes dif­fèrent, leurs témoi­gnages convergent : l’épreuve du trau­ma­tisme, loin de détruire leur désir de vivre, a été l'occasion d'une recons­truc­tion qui passe, chez eux, par l'écriture, la réap­pro­pria­tion du corps et la quête d’un nou­veau sens à don­ner à leur existence.

Leurs récits font écho à divers méca­nismes qui ont puis­sam­ment contri­bué à leur recons­truc­tion. Ils montrent notam­ment com­ment, à tra­vers leurs souf­frances, ils ont trou­vé des voies de rési­lience. L'art, et en par­ti­cu­lier l’écriture, a été un outil essen­tiel dans leurs pro­ces­sus res­pec­tifs de guérison.

Francis Jubert

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1. Le traumatisme initial : une violence brutale et irréversible

Philippe Lançon décrit dans Le Lambeau l'instant de l'attentat à Charlie Hebdo avec une pré­ci­sion sai­sis­sante. L'extrait dans lequel il raconte le moment où il a été griè­ve­ment bles­sé au visage est bouleversant :

« Je sen­tais que mon visage n'était plus là, mais je n'osais pas y tou­cher. […] Le silence était plus assour­dis­sant que les balles. Je me suis allon­gé sur le sol, je n'étais plus rien. »

Ce pas­sage montre com­ment il bas­cule dans un état de dis­so­cia­tion, conscient de sa vul­né­ra­bi­li­té et du chaos autour de lui.

Après l’attaque au cou­teau dont il est la vic­time, Salman Rushdie s’attarde moins sur les détails phy­siques que sur les impli­ca­tions sym­bo­liques de ses blessures :

« Le cou­teau m’avait lais­sé une marque, mais ce n’était qu’un rap­pel de ce que j’avais tou­jours su : ils pou­vaient bles­ser le corps, mais pas l’esprit. »

Là où Lançon accepte la maté­ria­li­té de son corps bles­sé comme un point de départ pour une renais­sance, Rushdie insiste sur l’intangibilité de son esprit comme étant son véri­table rempart.

Chez Rushdie, la vio­lence ini­tiale qu'il décrit dans Joseph Anton prend d'abord la forme d'une menace (la fat­wa de 1989). Elle est sans com­mune mesure avec la peur vis­cé­rale res­sen­tie après l'attaque phy­sique dont il est vic­time en 2022 et qu'il relate dans Le Couteau :

« Le cou­teau m’a frap­pé plu­sieurs fois avant que je ne réa­lise ce qui se pas­sait. Je n’étais plus Salman Rushdie, l’écrivain pro­té­gé par des murs invi­sibles, mais un corps bles­sé qui lut­tait pour res­ter en vie. »

Son récit met en lumière la sou­dai­ne­té de l'agression, mais éga­le­ment la conscience de la fra­gi­li­té corporelle.

Dans Le Lambeau, Philippe Lançon se livre à une plon­gée détaillée dans son expé­rience de patient mar­quée par des dizaines d’opérations chi­rur­gi­cales pour recons­truire son visage. La pré­ci­sion cli­nique de ses des­crip­tions montre une luci­di­té aiguë sur la souf­france et la dépendance :

« L’infirmière pen­chée sur moi me par­lait dou­ce­ment, mais c’était son geste qui me por­tait : le soin avec lequel elle net­toyait les plaies. […] Je n’avais plus de visage, mais elle me trai­tait comme si j’existais encore. »

Après l’attaque au cou­teau, Salman Rushdie évoque les soins inten­sifs qu’il a reçus. Cependant, son récit met davan­tage l’accent sur la soli­tude émo­tion­nelle qu’il res­sent comme patient :

« On répa­rait mon corps, mais mon esprit res­tait han­té par l’idée que cela recom­men­ce­rait. Les visages des méde­cins étaient mas­qués, ano­nymes. Je me sen­tais per­du par­mi eux. »

Contrairement à Philippe Lançon, Salman Rushdie ne semble pas trou­ver de récon­fort immé­diat auprès des acteurs du monde médi­cal. Son écri­ture reflète davan­tage une lutte inté­rieure contre la peur per­sis­tante et le doute.

2. Philippe Lançon : l’écriture comme chemin de catharsis et de retour à soi

Philippe Lançon, dans Le Lambeau, nous décrit un par­cours où l’écriture joue un rôle cen­tral dans la recons­truc­tion de sa vie après l’attentat de Charlie Hebdo. Dès les pre­miers ins­tants après l’attaque, il écrit pour témoi­gner, mais aus­si pour com­prendre et dépas­ser la vio­lence subie.

Une grande par­tie de son livre est consa­crée à la recons­truc­tion phy­sique de son visage, détruit par les balles. Il aborde ce sujet avec une pré­ci­sion qua­si chi­rur­gi­cale, mais aus­si une pro­fonde réflexion phi­lo­so­phique. Il fait face à cette épreuve en la ren­dant presque abs­traite, un tra­vail col­lec­tif entre lui et les soi­gnants qui vont le prendre en soin.

Gravement bles­sé, il subit de longues opé­ra­tions et une réédu­ca­tion dif­fi­cile. Pourtant, il trouve dans l’écriture un moyen d’articuler sa souf­france, de reprendre son récit et de se réap­pro­prier son iden­ti­té, comme l'illustre cette méta­phore artis­tique qui montre qu’il accepte son appa­rence comme un pro­ces­sus, une reconstruction.

« Le visage que je contem­plais n'était plus le mien. C'était celui d'un autre, une esquisse, une œuvre en cours. »

Lançon évoque sou­vent cette urgence à écrire comme un besoin de retrou­ver une forme d’intimité avec soi-​même, une manière de se réan­crer dans une « nor­ma­li­té » qu’il a l’impression de perdre. Son écri­ture devient une cathar­sis, une manière de tra­duire son expé­rience de la dou­leur et de la reconstruction.

L’importance de ce geste est mise en lumière à tra­vers des pas­sages où il raconte l’évolution de son corps, défi­gu­ré et réha­bi­li­té par la chi­rur­gie, et la manière dont il ins­crit cette trans­for­ma­tion phy­sique dans le récit plus vaste de sa vie. En écri­vant, il se réap­pro­prie son corps et son his­toire, l’un ne pou­vant exis­ter sans l’autre dans son esprit.

« Je sen­tais la vie qui m’échappait, mais l’écriture m’offrait la chance de la reprendre, de faire comme si ce corps détruit pou­vait retrou­ver une forme, une fonction. »

Lançon se sert éga­le­ment de la lit­té­ra­ture et de l'art pour apai­ser son esprit. Dans Le Lambeau, il nous parle de l’importance de la lec­ture, de la musique et de la contem­pla­tion de la pein­ture, des espaces artis­tiques dans les­quels il trouve un récon­fort face à la bru­ta­li­té de la vio­lence. C'est dans la musique de Bach, en par­ti­cu­lier, qu'il trouve une forme de séré­ni­té qui l'aide à appré­hen­der la len­teur du pro­ces­sus de guérison.

« Dans la dou­leur, j’ai trou­vé dans la musique une forme de refuge, un rythme, une struc­ture à mon esprit dispersé. »

3. Salman Rushdie : réécrire la réalité par l’écriture

De son côté, Salman Rushdie, dans Le Couteau, va plus loin en uti­li­sant l’écriture comme un véri­table outil de recons­truc­tion de la réa­li­té elle-​même. Après l'attaque qu’il a subie en 2022, il se trouve dans un état de confu­sion men­tale, exa­cer­bée par des séda­tifs puis­sants. L’expérience de la réa­li­té, défor­mée par la dou­leur et les médi­ca­ments, est une thé­ma­tique essen­tielle dans Le Couteau. Les hal­lu­ci­na­tions de lettres et de chiffres, qui dansent devant ses yeux, témoignent d’une rup­ture avec le monde tan­gible. Cependant, loin de se lais­ser sub­mer­ger par cette perte de repères, Salman Rushdie s’en sert pour réécrire sa propre réa­li­té. L’écriture devient pour lui non seule­ment un moyen d’exprimer la dou­leur, mais aus­si de recons­truire une nou­velle vision du monde, à tra­vers le prisme de la fiction.

« Les lettres qui dan­saient devant mes yeux, je les ai écrites. Les chiffres, je les ai trans­for­més en mots. Ce monde qui m’était deve­nu étrange, je l’ai réin­té­gré dans ma fiction. »

À tra­vers cette écri­ture, Salman Rushdie cherche à trans­cen­der les limites de la per­cep­tion immé­diate, trans­for­mant le trau­ma­tisme en un espace de nar­ra­tion où la réa­li­té et la fic­tion se ren­contrent. Ce pro­ces­sus de recréa­tion est un acte de résis­tance face à la défor­ma­tion subie, et une ten­ta­tive pour recons­truire une ver­sion de lui-​même qui intègre la souf­france tout en la réor­ga­ni­sant dans une nou­velle forme. Son pro­jet d’écriture va au-​delà de la cathar­sis : il s’agit de redé­fi­nir une réa­li­té frag­men­tée, de recons­ti­tuer un monde inté­rieur qui a été défi­gu­ré par l’agression.

« Je n’écrivais pas pour échap­per à la dou­leur, mais pour la rendre intel­li­gible, pour l’intégrer dans le cadre plus vaste de l’histoire que je m’efforçais de raconter."

Il est inté­res­sant de noter que, bien que Le Couteau s’inscrive dans un contexte post-​attentat, Salman Rushdie avait déjà déve­lop­pé une réflexion sur la vio­lence et la recons­truc­tion dans son livre Joseph Anton (2012). Dans ce pré­cé­dent ouvrage, il revient sur les années où il vivait sous pro­tec­tion poli­cière, après la fat­wa qui avait été lan­cée contre lui en 1989 à la suite de la publi­ca­tion des Versets sata­niques. Dans Joseph Anton, il évoque la pre­mière nuit après l’annonce de la fat­wa, où il com­prend que sa vie vient de bas­cu­ler. Ce moment de bas­cu­le­ment est racon­té avec un mélange de stu­peur et d’ironie :

"J’ai fer­mé la porte, et ce fut comme si le monde s’était refer­mé avec. La liber­té que je connais­sais était deve­nue un souvenir."

Salman Rushdie doit désor­mais faire face à une menace qui s’étire dans le temps, tes­tant sa patience et sa rési­lience. Il se pré­oc­cupe essen­tiel­le­ment de sa sur­vie et de la néces­si­té d’inventer de nou­velles façons de se réan­crer dans le monde. Mais dans Le Couteau, cette ques­tion prend une tour­nure dif­fé­rente. La vio­lence n'est plus une menace abs­traite, mais une expé­rience vécue. Après l’attaque au cou­teau, Salman Rushdie s’attarde moins sur les détails phy­siques que sur les impli­ca­tions sym­bo­liques de ses bles­sures insis­tant sur l’intangibilité de son esprit comme son véri­table rempart :

« Le cou­teau m’avait lais­sé une marque, mais ce n’était qu’un rap­pel de ce que j’avais tou­jours su : ils pou­vaient bles­ser le corps, mais pas l’esprit. »

L’écriture devient un moyen direct de récon­ci­lier l'auteur avec sa dou­leur et son corps. Le tra­vail de recons­truc­tion n’est plus seule­ment men­tal, il se fait aus­si à tra­vers la per­cep­tion même du monde.

4. La réintégration de la normalité : entre corps et esprit

Chez les deux écri­vains, l’art est un moyen de réin­té­grer une nor­ma­li­té après le chaos de l’attaque. Si Philippe Lançon se concentre sur la res­tau­ra­tion de son corps par la chi­rur­gie et la réédu­ca­tion, Salman Rushdie s’efforce de recons­truire son esprit et sa per­cep­tion du monde. Toutefois, l’un et l’autre savent que ce retour à la nor­ma­li­té ne se fait pas en effa­çant la souf­france, mais en l’intégrant à un pro­ces­sus de transformation.

Philippe Lançon évoque sa propre expé­rience de la défi­gu­ra­tion et de la recons­truc­tion à tra­vers un regard lucide sur son corps et sa souf­france. Il s’en sert pour ren­for­cer sa rela­tion à son iden­ti­té, en évi­tant de se lais­ser réduire à un simple sur­vi­vant. L’écriture l’accompagne tout au long de cette démarche, lui per­met­tant de renouer avec une forme de digni­té et de continuité.

« Le corps n’est pas un déchet, il est encore le lieu de ma vie. Il m’appartient, même après tout ce qu’il a traversé. »

De manière simi­laire, Salman Rushdie, bien qu’ayant sur­vé­cu à une agres­sion phy­sique vio­lente, uti­lise l’écriture pour recons­truire son rap­port à la réa­li­té et à l’art. En réin­té­grant la dou­leur dans une œuvre lit­té­raire, il par­vient à recon­qué­rir une vision du monde moins rigide, plus fluide, qui accepte à la fois la dou­leur et la beau­té, la souf­france et la rédemp­tion. Ce pro­jet d’écriture est pour lui un moyen de se réan­crer dans un quo­ti­dien qui, même s'il a été pro­fon­dé­ment trans­for­mé, n’est pas pour autant réduc­tible à un simple retour vers le passé.

5. L’amour et la littérature comme moteurs de résilience

Salman Rushdie, dans Le Couteau, met en lumière le rôle cru­cial dans son pro­ces­sus de recons­truc­tion de Rachel Eliza Griffiths, poé­tesse et artiste mul­ti­dis­ci­pli­naire qu’il a épou­sée en 2021. Son livre, dans lequel il évoque avec une pro­fonde gra­ti­tude le sou­tien indé­fec­tible de sa com­pagne, est un témoi­gnage autant sur la vio­lence que sur la recons­truc­tion par l’amour. Dans un pas­sage par­ti­cu­liè­re­ment mar­quant, il raconte com­ment elle l’a aidé à affron­ter ses bles­sures et à retrou­ver le cou­rage d’exister :

« Elle ne m’a pas lais­sé som­brer. Chaque jour, sa voix me rap­pe­lait qu’il y avait encore un monde à aimer, une vie à vivre. »

Rachel Eliza Griffiths appa­raît comme une figure cen­trale de rési­lience, agis­sant presque comme un guide spi­ri­tuel, une Eurydice inver­sée, rame­nant son Orphée du royaume des ténèbres. Un an après l’agression, en sep­tembre 2023, Salman Rushdie décide de retour­ner sur les lieux de l’attaque, à Chautauqua, accom­pa­gné de Rachel. Ce geste est une preuve de sa volon­té de sur­mon­ter le trau­ma­tisme, mais il prend tout son sens dans le contexte de leur relation :

« Elle m’a tenu la main tout au long de ce voyage. Ce n’était pas une simple visite, c’était un acte de défi, une affir­ma­tion que nous ne serions pas brisés. »

Ce retour, à la fois phy­sique et émo­tion­nel, sym­bo­lise une étape essen­tielle dans sa renais­sance, mar­quée par le cou­rage par­ta­gé avec Rachel Eliza Griffiths.

Salman Rushdie sou­ligne dans Le Couteau que l’écriture reste un acte fon­da­men­tal de résis­tance face à la bar­ba­rie, mais il admet que sa com­pagne a été son ancrage émo­tion­nel dans cette période. Elle incarne en même temps le refuge et l’impulsion néces­saires pour trans­cen­der la peur :

« À tra­vers son art, elle m’a rap­pe­lé que la beau­té sur­vit, même dans les pires tempêtes. »

De son côté, Philippe Lançon, dans Le Lambeau, trouve un refuge simi­laire dans la musique, mais sur­tout dans le sou­tien de ses proches. Ses proches jouent un rôle cru­cial : son frère et ses amis l’accompagnent dans son par­cours de recons­truc­tion. Mais, l'auteur insiste sur leur dif­fi­cul­té à com­prendre plei­ne­ment ce qu’il traverse :

« Mon frère arri­vait chaque jour, char­gé d’une éner­gie que je ne pos­sé­dais plus. […] Je savais qu’il vou­lait me par­ler, mais je ne trou­vais pas les mots. Je n’étais plus le même homme, et il devait l’accepter. »

Ce pas­sage illustre la ten­sion entre le sou­tien affec­tif et la soli­tude inté­rieure du patient.
Salman Rushdie, dans Joseph Anton, met davan­tage en lumière le sou­tien de ses par­te­naires suc­ces­sives et de son cercle lit­té­raire. Cependant, il évoque aus­si l’impact cor­ro­sif de la peur sur ses rela­tions personnelles :

« Je savais que leur amour était sin­cère, mais ma situa­tion leur pesait. L’idée qu’une simple visite pou­vait mettre leur vie en dan­ger nous éloi­gnait peu à peu. »

Ici, la soli­da­ri­té fami­liale est constam­ment mise à l’épreuve par la menace exté­rieure, ce qui dis­tingue son expé­rience de celle de Philippe Lançon qui comp­tait davan­tage que lui sur ses soi­gnants. Il appré­ciait tout par­ti­cu­liè­re­ment les gestes de Chloé, sa chi­rur­gienne, qui « répon­dait à la des­truc­tion par des gestes pré­cis, des­ti­nés à répa­rer » ou encore ceux des infir­mières : « L’infirmière pen­chée sur moi me par­lait dou­ce­ment, mais c’était son geste qui me por­tait : le soin avec lequel elle net­toyait les plaies. […] Je n’avais plus de visage, mais elle me trai­tait comme si j’existais encore. »

Le rôle du per­son­nel médi­cal est cen­tral dans sa sur­vie, mais aus­si dans sa réhu­ma­ni­sa­tion. Philippe Lançon décrit une rela­tion qua­si spi­ri­tuelle avec ses soi­gnants qui lui apportent une forme d'apaisement, notam­ment sa chi­rur­gienne, Chloé, qu’il voit comme une figure d’espoir. Il s’en remet aux mains des soi­gnants, presque avec gra­ti­tude. Indépendamment de la rela­tion per­son­nelle très riche qu’il entre­tient avec Chloé, l’expérience qu'il fait des soins médi­caux qui lui sont pro­di­gués devient pour lui un che­mi­ne­ment vers une nou­velle identité.

Il en va dif­fé­rem­ment pour Salman Rushdie. Confronté à une menace plus abs­traite et pro­lon­gée, l’aide exté­rieure que lui apportent les soi­gnants comme ses proches est tein­tée d’ambiguïté. S’il admire les efforts de ceux qui le soignent et le pro­tègent, il res­sent dans le même temps une alié­na­tion crois­sante face à cette dépen­dance. Son récit est plus mar­qué que chez Philippe Lançon par une lutte indi­vi­duelle pour reprendre le contrôle de sa vie : il met davan­tage en avant l’amour roman­tique comme la force qui lui a per­mis de sor­tir de sa soli­tude exis­ten­tielle et de retrou­ver une forme d’équilibre.

Si Philippe Lançon s’appuie sur l’art, la musique et la patience des soi­gnants pour se recons­truire, Salman Rushdie trouve dans sa rela­tion avec Rachel Eliza Griffiths une source essen­tielle de rési­lience. Leurs récits montrent bien que, face aux épreuves les plus ter­ribles, les arts et les rela­tions inter­per­son­nelles res­tent des ancrages puis­sants pour sur­mon­ter le trau­ma­tisme et retrou­ver un sens à la vie.

6. L’art-thérapie comme voie vers le bien-être

À tra­vers l'écriture et les arts, Lançon et Rushdie montrent com­ment l’art-thérapie, même de manière non expli­cite, devient un vec­teur de gué­ri­son. Bien que ni l’un ni l’autre ne parlent direc­te­ment d’art-thérapie au sens cli­nique, leurs expé­riences de la dou­leur et de la recons­truc­tion passent par une réap­pro­pria­tion créa­tive de la réa­li­té. Dans le cas de Philippe Lançon, c’est la lit­té­ra­ture, la musique, et les arts visuels qui l’aident à réor­ga­ni­ser ses pen­sées et ses émo­tions. L’écriture devient son refuge et son che­min vers une vie retrou­vée, tout comme la contem­pla­tion artis­tique lui per­met de sur­mon­ter les moments de crise.

Pour Salman Rushdie, l’écriture est une manière de réor­don­ner ses pen­sées après le choc, mais aus­si de redé­fi­nir le monde à par­tir de ce qui a été bri­sé. L’art de la nar­ra­tion est, pour lui, une forme d'art-thérapie per­son­nelle qui lui per­met de recons­truire un uni­vers où la souf­france peut être inté­grée sans être anni­hi­lante. À tra­vers cette démarche, il trouve non seule­ment une cathar­sis, mais aus­si une manière d’affirmer son exis­tence et de répondre à l’absurdité de l’attaque.

7. Conclusion : l’écriture comme art-​thérapie et voie de résilience

Les par­cours de Philippe Lançon et Salman Rushdie montrent que la souf­france ne doit pas néces­sai­re­ment mener à l’isolement ou à la des­truc­tion. L’art, et en par­ti­cu­lier l’écriture, joue ici un rôle de média­tion entre le trau­ma­tisme et la gué­ri­son. Pour les deux écri­vains, l’écriture devient une forme d’art-thérapie. Loin de fuir la dou­leur, ils la réin­tègrent dans leur pro­ces­sus créa­tif. En réécri­vant leur his­toire, en recons­trui­sant leur rap­port au monde et à leur corps, ils par­viennent à trou­ver une nou­velle forme de nor­ma­li­té, qui est redé­fi­nie par la rési­lience et l’art. Ce pro­ces­sus est long, dif­fi­cile, dou­lou­reu­se­ment vécu, mais il per­met de trans­for­mer le trau­ma­tisme en une res­source, don­nant ain­si nais­sance chez cha­cun à une œuvre lit­té­raire pro­fon­dé­ment humaine, nour­rie par l’expérience de la souf­france, mais éga­le­ment par l’espoir et la volon­té de conti­nuer à vivre.

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Publié le 3 juin 2025 – Francis Jubert – gdc

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