Des livres à vivre - sélection 2022

Éditions GRASSET

L’homme augmenté

Futurs de nos cerveaux 

Un essai de Raphaël Gaillard
Une recen­sion de Francis Jubert

Le second opus de Raphaël Gaillard, L’homme aug­men­té, sur­pren­dra tous ceux qui, atti­rés par ce titre, s’attendaient à lire un essai sur les pro­grès du trans­hu­ma­nisme. Ils y trou­ve­ront sur­tout d’utiles garde-​fous. À sa lec­ture, ils décou­vri­ront que les tech­no­lo­gies ser­vant aus­si bien à la répa­ra­tion du vivant qu’à son « aug­men­ta­tion », n’occupent qu’une place secon­daire en com­pa­rai­son du sen­ti­ment d’urgence anthro­po­lo­gique qui habite l’auteur, plus sou­cieux de soi­gner que d’augmenter l’homme. Pour se pré­mu­nir des effets délé­tères des hybri­da­tions qui menacent la san­té de l’homme, il pré­co­nise de recou­rir au livre, « cet objet asso­ciant écri­ture et lec­ture qui consti­tue la grande hybri­da­tion de l’humanité ».

Francis Jubert

Des livres à vivre - sélection 2022

L’essai que vient de publier le Professeur Raphaël Gaillard est divi­sé en trois grandes par­ties. Les deux pre­mières traitent de sujets connexes : l’hybridation cerveaux-​machines d’une part, les risques qu’introduit l’intelligence arti­fi­cielle d’autre part. La der­nière se foca­lise sur le livre comme hybridation.

La pre­mière par­tie fait la part belle aux neu­ros­ciences et à ses appli­ca­tions. Elle s’ouvre sur un cha­pitre consa­cré à Elon Musk qui s’est don­né pour objec­tif d’augmenter par la tech­no­lo­gie la puis­sance de notre cer­veau. Suivent les rela­tions d’expériences spec­ta­cu­laires visant à trom­per le cer­veau d’un patient pour le sou­la­ger de dou­leurs ou res­tau­rer chez lui des fonc­tions entra­vées par la mala­die. Les cha­pitres sui­vants indiquent de quelle manière ces inter­faces uti­li­sées pour le soin, sou­vent asso­ciées à des psy­cho­sti­mu­lants, pour­raient béné­fi­cier à des indi­vi­dus en bonne san­té pour aug­men­ter leur potentiel.

Dans la seconde par­tie, Raphaël Gaillard s’attache à mon­trer com­ment tirer par­ti de l’intelligence arti­fi­cielle dont l’interaction avec notre propre intel­li­gence pour­rait avoir des effets cri­tiques sur notre san­té men­tale si nous ne nous mon­trions pas à la hau­teur de cet échange. Pour l’heure, fait-​il obser­ver, l’IA a une pro­pen­sion à construire de toutes pièces une réponse sans rap­port avec la réa­li­té. En tant que psy­chiatre, il s’interroge donc sur la san­té men­tale de l’IA elle-​même. Il fait enfin obser­ver que l’usage désor­don­né des écrans et objets connec­tés n’est pas davan­tage sans risque.

La der­nière par­tie de cet essai a trait au livre et à ses ver­tus. Après un pre­mier cha­pitre sur les tech­niques de neu­ro­mo­du­la­tion, celui qui a créé à Sainte-​Anne l’institut épo­nyme montre au tra­vers d’exemples qu’il est pos­sible de soi­gner nombre de troubles men­taux résul­tant de l’IA, ce qu’il appelle les « psy­cho­pa­tho­lo­gies de l’hybridation ». Dans les cha­pitres conclu­sifs, l’auteur sou­ligne les bien­faits que l’on peut tirer de la lec­ture : c’est ain­si, dit-​il, que nous édu­quons notre empa­thie. Il plé­bis­cite la méde­cine nar­ra­tive qui, au tra­vers des récits de patients, des grands textes de la lit­té­ra­ture ain­si que de l’écriture de leur propre vécu, per­met d’éduquer les étu­diants en méde­cine à l’écoute de leurs futurs patients.

Le livre de Raphaël Gaillard devrait connaître un reten­tis­se­ment cer­tain. Il le méri­te­rait. L’auteur a su sor­tir de sa zone de confort, celle de son exper­tise médi­cale, pour se his­ser à hau­teur des pré­oc­cu­pa­tions qui sont celles de l’homme d’aujourd’hui, confron­té à la mon­tée en puis­sance de son ava­tar, l’homme numé­rique, qui désor­mais se joue de lui, l’égare, en mul­ti­pliant les biais cog­ni­tifs ou en sin­geant sa propre intel­li­gence. Mobiliser les res­sources de la lec­ture pour remé­dier aux maux de l’hybridation tech­no­lo­gique n’est pas la moindre de ses trou­vailles et, à elle seule, méri­te­rait que l’on consacre à cet essai toute l’attention qu’il mérite.

Raphaël Gaillard est un ancien élève de l’École nor­male supé­rieure.
Professeur de psychiatrie-​praticien hos­pi­ta­lier, il est aus­si direc­teur du Pôle hospitalo-​universitaire de psy­chia­trie Paris 15 de l’hôpital Sainte-​Anne et de l’université Paris Cité.
Rédacteur en chef de la revue L’Encéphale.
Chercheur en neu­ros­ciences cog­ni­tives et phar­ma­co­lo­gie et Président de la Fondation Pierre Deniker pour la recherche et la pré­ven­tion en san­té men­tale.
Président de la Compagnie des Experts Médecins auprès de la Cour d’Appel de Paris
Outre ses contri­bu­tions à quatre ouvrages (Actualités sur les mala­dies dépres­sives, Lavoisier, 2018 ; Troubles d’apprentissage chez l’enfant, Lavoisier, 2014 ; Les troubles bipo­laires, Lavoisier, 2014 ; Manuel de psy­chia­trie cli­nique et psy­cho­pa­tho­lo­gique de l’adulte, PUF, 2012), il a publié aux édi­tions Grasset, en 2022, Un coup de hache dans la tête, Folie et créa­ti­vi­té.

Qu'en pense la critique ?

Dans L’Express, Stéphanie Benz écrit le 30 jan­vier 2024 : « Dans son récent essai sur l’homme aug­men­té (Grasset), le psy­chiatre Raphaël Gaillard apporte un éclai­rage pas­sion­nant sur l’amélioration de nos capa­ci­tés cog­ni­tives par la science et la tech­no­lo­gie. Au moment où Elon Musk annonce le suc­cès de la pre­mière implan­ta­tion chez un patient de sa puce neu­ro­nale, le spé­cia­liste explique pour­quoi l’augmentation glo­bale de l’homme des inter­faces cerveau-​machine reste et res­te­ra un fan­tasme. Pour autant, il raconte aus­si com­ment les avan­cées de la recherche per­mettent de ren­for­cer les capa­ci­tés de notre encé­phale. Il y est ques­tion d’électrodes, de médi­ca­ments, de séquelles psy­ché­dé­liques, mais aus­si de vélo bureau. Fascinant, au moment où les pro­grès de l’intelligence arti­fi­cielle nous exposent à de nou­veaux défis ».
Quant à Nicolas Ungemuth, il écrit, dans Le Figaro Magazine du 16 février 2024 : « Dans un livre pas­sion­nant, L’homme aug­men­té, l’éminent psy­chiatre Raphaël Gaillard évoque les apports incroyables de l’intelligence arti­fi­cielle pour soi­gner plu­sieurs patho­lo­gies en pas­sant par notre cer­veau. Il n’oublie pas de dire au pas­sage qu’il y aura un inévi­table prix à payer. »

L’homme aug­men­té est paru aux édi­tions Grasset le 10 jan­vier 2024.
352 pages – ISBN-​13 : 978 – 2246835172.

Dans la même thématique

Guy Mamou-​Mani, Pour un numé­rique humain, les 8 condi­tions d’une trans­for­ma­tion réus­sie (Hermann, 2024)
Heinz Wismann, Penser entre les langues (Albin Michel, 2023)
Stanislas Dehaene, Apprendre ! Les talents du cer­veau, le défi des machines (Odile Jacob, 2018)
Maylis de Kerangal, Réparer les vivants – un roman paru chez Gallimard en 2015.

Voir aus­si cette inter­view de Raphaël Gaillard sur France Inter : Grand entre­tien (20 jan­vier 2024).

Voir enfin, autour du livre, l'émission La grande librai­rie du 8 février 2024 : Raphaël Gaillard, l’hybridation de nos cerveaux.

Des livres à vivre - sélection 2022

© France-​TV – Capture d'écran

Publié le 23 février 2024 – Francis Jubert – gdc

Retour en haut